Les organisations membres du Collectif se sont penchées sur la nouvelle circulaire ministérielle relative à l’éducation à la vie affective et sexuelle. Ci-dessous leurs analyses et commentaires.
Le Collectif éducation contre les LGBTphobies le rappelle : l’éducation à la sexualité est l’affaire de toutes et tous. Elle participe au développement des compétences psychosociales définies par l’organisation mondiale de la santé (OMS) en 1993. Parce qu’elle contribue à la construction de la personne et à l’éducation des citoyen-nes, l’éducation à la sexualité a toute sa place à l’école.
Elle répond aux objectifs de santé sexuelle, telle que définie également par l’OMS : Le droit de jouir du meilleur état de santé possible consacré à l’article 24 de la Convention doit être compris dans une acception large, incluant la santé sexuelle. Celle-ci est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme un « état de bien-être physique, émotionnel, mental et social relié à la sexualité. Elle ne saurait être réduite à l’absence de maladies, de dysfonctions ou d’infirmités ». Pour l’OMS, l’éducation à la sexualité désigne « l’apprentissage des aspects cognitifs, émotionnels, sociaux, interactifs et physiques de la sexualité. Elle commence dès la petite enfance, et se poursuit à l’adolescence et à l’âge adulte. Pour les enfants et les jeunes, son objectif premier est d’accompagner et de protéger le développement sexuel ».
Elle est également là pour lutter contre les modes de domination, qui doivent être explicités et condamnés chaque fois qu’ils sont identifiés. Les violences faites aux femmes, le sexisme ordinaire, les agressions sexuelles et le viol doivent être dénoncées sans concession, tout comme la culture du viol (discours, propos, représentations…) qui banalise et minimise ce crime.
Mais le Collectif fait le constat, à l’instar de l’administration et des collègues dans les établissements et les écoles, que l’éducation à la sexualité n’est pas optimale dans notre institution, du fait de plusieurs types de difficultés, voire d’obstacles, et qu’il y a donc des pratiques et des directives à revoir.
Que dit la nouvelle circulaire sur l’éducation à la sexualité, du 12 septembre 2018 ? Que ne dit-elle pas ?
Elle définit une feuille de route très prudente ! A sa lecture, on resterait presque sur notre faim… Si cette circulaire était sans doute nécessaire en ce début d’année, agité par les intox et désinformations, elle reste insatisfaisante.
D’une part, on peut se féliciter qu’elle évoque explicitement certains grands principes :
– « L’éducation à la sexualité se fonde sur les valeurs humanistes de liberté, d’égalité et de tolérance, de respect de soi et d’autrui »
– « Cette éducation vise à la connaissance, au respect de soi, de son corps et au respect d’autrui (…). Elle est complétée, à l’adolescence, par une compréhension de la sexualité et des comportements sexuels dans le respect de l’autre et de son corps »
– « le champ psycho-émotionnel » et « les émotions et sentiments »
Les termes se rapprochent de notre idée de la vie affective.
– « Au sein des établissements d’enseignement, tout adulte de la communauté éducative contribue à réguler les relations interindividuelles et à développer chez les élèves des savoir-être et des comportements respectueux et responsables. Ces pratiques éducatives impliquent une nécessaire cohérence entre tous les adultes participant de fait au respect des lois et des règles de vie en commun, qu’elles concernent la mixité, l’égalité ou la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le sexisme, l’homophobie et la transphobie, contraires aux droits de l’Homme ».
Il est important que cette éducation à la sexualité ne soit pas l’apanage de quelques un·es (notamment les infirmier·es scolaires et les professeur·es de SVT) et que toutes et tous les personnels puissent y contribuer. Il est tout aussi important de rappeler explicitement dans ce cadre la lutte contre l’homophobie et la transphobie. Il est essentiel de parler de l’ensemble des orientations sexuelles et non pas de rester dans la relation hétérosexuelle comme c’est trop souvent le cas, surtout lorsque l’éducation sexuelle est vue dans le cadre de la seule reproduction.
Mais d’autre part, plusieurs points essentiels nous semblent manquants :
– L’égalité filles-garçons bien que présente comme un enseignement aurait dû être au cœur du dispositif. Les termes vagues de « respect de soi et d’autrui » ne nous paraissent pas suffisants en la matière.
– L’homosexualité n’est jamais nommée. Rien non plus sur l’identité de genre. Il est simplement fait allusion à l’ « orientation sexuelle ». Les interrogations sont courantes au moment du passage de l’adolescence à l’âge adulte, et il est important de pouvoir répondre aux interrogations des élèves. Il faudrait y intégrer la lutte contre l’ensemble des LGBTIphobies : lesbophobie, biphobie et question des intersexes.
– Les apports des sciences sociales sont occultés. Elles comportent pourtant plusieurs travaux sur la sexualité et les identités de genre. Or, un champ supplémentaire « des études sociales et philosophiques, avec la construction sociale, philosophique et historique des identités » aurait permis d’aborder la question dans toutes ses dimensions.
– N’est pas évoquée non plus la nécessaire mise en place d’une progression sur tout le cursus scolaire pour les 3 heures dédiées à cette éducation.
L’éducation à la sexualité est primordiale pour connaître son propre corps et celui d’autrui, pour respecter les filles et les garçons et pour vivre en harmonie dès le plus jeune âge sans violences ni stéréotypes.
Cette circulaire a le mérite de donner une feuille de route précise à tous les acteurs du monde éducatif, même si on peut regretter sa prudence circonspecte.
Zoom sur le primaire :
La publication de la circulaire a lieu en septembre, après des polémiques qui ont enflammé les réseaux sociaux pendant tout l’été, avec des campagnes de diffamation accusant de nouveau l’école de promouvoir la pédophilie… L’hypothèse du lien de cause à effet semble vraisemblable.
Il était en effet nécessaire de faire connaître les contenus qui relèvent de l’éducation à la sexualité en primaire, mais une nouvelle circulaire était-elle nécessaire ? Certes, celle de 2003 était plutôt méconnue, et donc peu appliquée, en primaire. Mais la nouvelle donnera-t-elle lieu à des communications volontaristes du Ministère à destination des enseignant-es et des cadres de l’Éducation nationale ?
Ces groupes de pressions qui se mobilisent régulièrement (et particulièrement depuis 2013 contre les ABCD de l’égalité) ont montré leur réel pouvoir de nuisance : sur les parents d’une part, en sapant la confiance entre les familles et l ‘école ; mais également sur les enseignan-tes dont certain- es hésitent à traiter ces sujets en classe, quand d’autres finissent même par douter du bien fondé de ces enseignements : cette éducation ne reviendrait-elle pas à la famille ? Quel doit être le rôle de l’école ? Il était donc nécessaire que les missions de l’école soient réaffirmées, aussi bien en direction des personnels que des familles, voire de l’opinion publique. Il faut notamment que les enseignant-es interpelé-es par des parents d’élèves sur ces questions aient le soutien de leur hiérarchie, ce qui n’est pas toujours le cas !
Dans cette optique, la nouvelle circulaire ministérielle est intéressante parce qu’elle liste explicitement les thématiques qui peuvent être abordées à l’école primaire, afin de lever les ambiguïtés. On peut toutefois regretter que certaines dimensions de l’éducation à la vie affective et sexuelle ne figurent pas dans la liste, ou de façon peu explicite. Ainsi, l’aspect relationnel et affectif n’est pas assez développé (il est pourtant facilement abordable avec de jeunes enfants) et le mot affectif semble même absent de la circulaire. De même aurait pu être mentionné le travail sur la diversité des familles (avec en particulier la notion de projet / désir d’enfant), très important dans la construction de l’estime de soi.
Mais la clarté du discours institutionnel ne suffira pas : il doit impérieusement s’appuyer sur la mise en place d’un plan de formation d’ampleur, aussi bien pour la formation initiale que continue de tous les personnels.
En effet, éduquer à la sexualité ne s’improvise pas. Il faut par exemple faire comprendre aux élèves la distinction entre ce qui relève de l’intime et de l’expérience personnelle et ce qui peut être énoncé devant les autres élèves, ou pour reprendre les termes de la circulaire : « permettre aux enfants et aux jeunes de repérer ce qui relève de la sphère privée et de la sphère publique, et maintenir les échanges dans la sphère publique ». Cela peut se révéler très délicat en particulier quand l’élève a subi des agressions sexuelles.
La prévention des agressions sexuelles sur mineur-es n’est pas suffisamment traitée, alors qu’elle devrait être une préoccupation importante dès le primaire ! Dans la nouvelle circulaire est tout juste évoqué le fait de recueillir la parole concernant les « difficultés personnelles », mais repérer c’est déjà trop tard, il faut clairement se fixer des objectifs de prévention. C’est aussi dans ce but qu’il est important d’éduquer au non-consentement, de soi comme de l’autre.
C’est pourquoi la formule de la circulaire « À ce niveau d’âge [en primaire], il ne s’agit pas d’une éducation explicite à la sexualité » ne paraît pas satisfaisante. En effet, éduquer explicitement à la sexualité, avec les propos et les pratiques adaptées, dans le cadre scolaire, à quelque niveau que ce soit, n’est en aucun cas une incitation au passage à l’acte. Bien à rebours, c’est une éducation explicite à la sexualité qui permet aux enfants et aux adolescent-es de se construire, d’apprendre à se protéger et qui incite explicitement au respect.
Et pour tout cela, il faut de la formation !
Les attaques réactionnaires contre les ABCD de l’égalité et leur écho dans la société, ainsi que différentes polémiques qui se sont succédé depuis, ont montré combien l’essentialisme était encore prégnant dans les mentalités, combien le système de genre produisait de normes contraignantes, présentées à tort comme « naturelles », souvent obstacles à l’émancipation des jeunes, comme à celle des adultes. La formation des personnels doit donc également s’accompagner d’une solide réflexion sur les stéréotypes liés au système de genre, afin que les relations amoureuses s’affranchissent des représentations qui alimentent les mécanismes de domination, et pour agir en prévention contre violences et discriminations sexistes et LGBTphobes.
Les modalités d’organisation des formations sont également très importantes. Le plan pour l’éducation à l’égalité, présenté en juin 2014, promettait une généralisation des formations. Mais la réalité nous a montré que le Ministère ne s’est pas doté des moyens nécessaires à cette généralisation. En effet, il a proposé parmi les outils de formation un module m@gistère, c’est-à-dire une formation à distance. Or, on ne peut pas prétendre former à la lutte contre les discriminations par ce genre de média. Tout ce qui touche aux représentations, individuelles et collectives, nécessite (au moins dans un premier temps) des rencontres, des échanges, des confrontations, avec les résultats de la recherche mais aussi entre enseignant-es. On ne peut pas se former tout-e seul-e devant un écran ! Une vraie politique pour l’égalité demande des moyens concrets. Si des prises d’informations et de recherches d’outils en ligne peuvent compléter ces formations sur site, celles-ci nécessitent également des temps de retour, d’échanges autour de l’analyse de pratiques.
Notamment les concepts de sexe biologique, identité de genre et orientation sexuelle doivent être clairement caractérisés avec les élèves pour éviter des confusions dans les raisonnements. Les questions relatives à la sexualité, la contraception, l’IVG, les notions de respect et de consentement doivent être enseignées, parce que le corps humain n’est pas un objet.
Les personnels de l’enseignement privé sous contrat doivent aussi être formé-es à ces problématiques. L’État doit être vigilant quant au respect du cahier des charges dans le cadre des formations proposées par Formiris (organisme privé qui dispense les formations en accord avec le ministère), que ce soit dans la formation initiale et continue des enseignant-es. De plus, il y a trop souvent un flou juridique dans les structures de l’enseignement privé sous contrat qui mène à la diffusion de documents et de théories pouvant être violentes pour les élèves et allant à contre-courant de ce que préconise la circulaire (opposition à l’IVG, parole homophobe…). Les personnels de droit privé de ces établissements ont aussi un rôle éducatif, ils ne sont pourtant pas formés pour répondre aux questions des élèves. Ils sont même trop souvent appelés à prendre des positions empreintes d’idéologie religieuse et dans certains établissements, ils sont sollicités pour diffuser des documents issus de mouvements réactionnaires. L’État doit prendre ses responsabilités pour éviter que des dérives identitaires mènent à une éducation à deux vitesses et à une diffusion d’idées allant à l’encontre des valeurs de la République dans des établissements pourtant sous contrat. Ainsi, si des défaillances claires viennent à être attestées, il serait judicieux que les collègues du privé sous contrat et du public soient formé-es ensemble sur ces questions.
Il faut exiger que toutes les académies proposent à tous les personnels des formations « éducation à la sexualité » dans la formation initiale et continue. De plus, il faut permettre d’intégrer les séances d’éducation à la sexualité dans le service des personnels qui se sont portés volontaires et qui ont été formés.
… et des moyens !
Outre les moyens indispensables pour une réelle formation, initiale et continue, de tous les personnels, la mise en place des différentes mesures demande notamment du temps.
La mise en place des CESC doit se faire, sans augmentation du temps et de la charge de travail des personnels. L’augmentation du nombre de postes d’infirmier·es scolaires en particulier est également une nécessité.
Le Collectif contre les LGBTphobies en milieu scolaire et universitaire continuera à promouvoir une éducation à l’égalité prenant notamment en compte les résultats scientifiques issus des études sur le genre, afin de combattre le sexisme et les LGBTphobies, et une éducation à la vie affective et sexuelle inclusive et émancipatrice.